portrait


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La découverte de l’oeuvre de Lucien Durosoir restée manuscrite depuis sa mort en 1955, s’opère progressivement depuis 2005, par l’édition, le concert, l’enregistrement. Le musicien a donc attendu – sinon lui-même, du moins l’hommage dû à sa stature de compositeur – cent ans avant de voir sa musique gagner peu à peu les scènes musicales, l’intérêt croissant des artistes et la ferveur du public. Le présent enregistrement d’Aube, sonate d’été par Daniel Gardiole témoigne de la force de conviction exercée par cette musique sur les artistes, mais quels artistes ? C’est la jeune génération qui a été conquise, celle qui est curieuse de nouveauté (fût-ce une nouveauté déjà ancienne), celle qui dispose d’une technique à toute épreuve et d’une haute virtuosité (cette musique est extrêmement difficile), celle qui ne veut pas emprunter les sentiers battus où randonnent un trop grand nombre de musiciens, celle qui veut ouvrir de nouvelles voies.
À ce compositeur, la postérité est en train de donner ce que la vie lui a refusé: la reconnaissance de son oeuvre et sa place dans l’histoire de la musique.

Il faut reconnaître que Lucien Durosoir n’a guère courtisé la célébrité, répugnant au plus haut point à ce qu’elle suppose de fréquentation des salons parisiens, des personnalités à la mode, des « dîners en ville », où se font et se défont la plupart des gloires contemporaines. La très cruelle expérience de la Grande Guerre a détruit en lui toute aspiration purement sociale, l’a conduit à l’essentiel, la musique comme pratique de l’esprit créateur, sans témoins, sans interlocuteur, sans juge ; en somme, le choix de la tour d’ivoire.

Cette guerre, qu’il a en totalité effectuée au front, a marqué une des grandes ruptures de sa vie (la seconde rupture allait intervenir en 1939); rupture définitive avec sa carrière de violoniste international dont les terrains d’élection et de succès étaient, justement, cette Europe centrale et ces pays germaniques contre lesquels la France entre en guerre le 1er Août 1914.

Et puis il y a le retour à la paix, au pays, à la vie.

Quelle vie ? Une autre, assurément… L’Europe est détruite et misérable, seuls les artistes qui ont su se mettre à l’abri pendant les 55 mois du conflit – et qui ont ainsi posé les solides jalons de leur future carrière – seuls ceux-là s’en tireront. Durosoir ne les envie pas, il a plutôt honte pour eux. Il s’isole, dans une maison retirée du sud-ouest de la France, et se lance dans la composition. Quarante oeuvres en 17 ans à peine, avant que la seconde guerre mondiale ne le prive de tout, jusqu’au papier à musique… Aube, sonate d’été date de 1926, époque des années heureuses, celles de la création fervente et acharnée, celles de l’espoir retrouvé. Elle est un hommage poétique à Rimbaud et au piano ; le magnifique texte du poème sert d’exergue, de fil conducteur et de support d’imagination à la sonate.
Celle-ci, d’une redoutable difficulté, déroule sa propre vision des fantasmes rimbaldiens et fouille, dans tous les registres du piano, à la recherche de sonorités inouïes, d’images sonores étonnantes, de lumières éclatantes.
Daniel Gardiole en est le brillant et audacieux interprète.

    Georgie Durosoir, professeur émérite en Musicologie à l’université Paris-Sorbonne et chercheur associé au Centre de musique baroque de Versailles.


Relations entre Paul Loyonnet et Lucien Durosoir
Extrait du livre: Paul Loyonnet, un pianiste et son temps, Paris, Honoré Champion, 2003


…Cet été-là, comme chaque année, je fus prié de jouer à la séance de bienfaisance du Casino.
Sur les affiches, mon nom figurait à une place modeste, tandis que s’étalait, en grandes lettres et encadré un nom de moi inconnu mais qu’il fallait croire célèbre : Durosoir, violoniste. (…) Durosoir fit une profonde sensation ; il avait un son large et généreux. Les connaisseurs furent extasiés et les bons provinciaux n’avaient jamais entendu pareil virtuose. Il fut accompagné par Armand Merke, un musicien belge qui logeait chez Kufferath.
Naturellement Durosoir m’entendit et me fit un éloge précieux, marquant que j’avais un rythme rare chez de jeunes virtuoses. J’appris qu’il avait vingt-huit ans, donc un peu plus de dix ans que moi. Je lui demandai de le revoir et nous allâmes, ma mère et moi, dans la petite villa qu’il avait louée et où il demeurait avec sa mère. Je lui fis un peu valoir mes récitals, mon début de carrière et je suggérai que peut-être nous pourrions aller donner un concert à Avranches. L’idée sembla lui plaire. (…) Je ne puis décrire la joie que j’éprouvai à travailler la Sonate de Beethoven avec ce bon violoniste. J’avais quelques années auparavant assassiné toutes les sonates avec le brave père Deck. J’entrais dans un autre monde.
L'AUBE DES SIECLES
1 - AUBE SONATE D'ETE