portrait
Virevolter scrutant l'idoine lieu où se poser. Posté enfin, pivoter pour projeter son chant au-delà : L'oiseau nous offre la parabole d'une figure
générative de la musique de Jean-Luc Hervé.  Non seul le chant de l'oiseau, son vol aussi, appel manifeste à exister en un territoire, lieu où va avoir lieu.
Thierry Blondeau


En mouvement

Constance, trait commun, chacune des pièces proposées se déploie selon un itinéraire, non pas un simple trajet qui s’avèrerait plus ou moins hasardeux ou livré à lui-même, mais un véritable cheminement  animé par une intention, un projet musical qui en constitue son ossature, et dont il demeure une trace ; chaque pièce - directionnelle, orientée dès son commencement jusqu’à son terme,  possède par là une dynamique interne qui lui est propre et lui confère toute sa force.  Un itinéraire que nous sommes invités à parcourir.
A l’écoute, on a rarement le temps de s’installer, de se laisser porter. Ici, rien de méditatif, de contemplatif, de statique. On ne se repose pas, on se tient et se maintient tendu dans une certaine acuité perceptive,… actif. Car toujours des évènements, voire  des silences, se produisent au moment précis où l’on croyait pouvoir se couler dans le confort d’une écoute sans surprise. Il y a quelque chose de bergsonien dans ce jaillissement continuel d’imprévisible nouveauté, sauf que rien n’y est moins laissé au hasard, et qu’il faudrait envisager un tel continuum sans cesse perturbé par l’irruption de ruptures toute…. bachelardiennes. Il est remarquable qu’une musique sache aussi bien concilier en son sein continuité et discontinuité, une continuité qui n’est pas un flux indistinct, une discontinuité qui ne se perd pas dans un morcellement de gestes musicaux atomisés ; une musique tout à la fois fluide, mouvante, englobante, enveloppante, mais aussi surprenante, voire inouïe.
Fluidité, car toute complexité se trouve comme effacée, mise au service d’une spontanéité seconde, construite, reconstruite. C’est la tâche du compositeur de parvenir à suggérer au terme d’une élaboration et d’une structuration l’aisance d’un trajet qui serait léger, évident et simple.
Articulée, car les duos favorisent des jeux d’échanges, de résonances et de reflets. Musique du dialogue, du Je et du Tu, vivement désirante, un désir qui s’avance et redouble la tension dynamique à l’œuvre au profit non d’un manque, d’une lacune, mais d’un accroissement d’être jubilatoire.
Véronique Verdier

Intérieur Rouge (1993)
Pour  flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano
Comme dans la plupart de mes œuvres, Intérieur Rouge parcourt une trajectoire. Au départ les instruments sont imbriqués deux à deux dans une succession d'hétérophonies. Puis, chaque instrument émerge tour à tour comme soliste s’échappant d'une texture musicale réalisée par les autres instruments sur deux plans sonores. Le piano qui est totalement absent au début de l'œuvre va envahir progressivement la musique pour finalement rester seul. Les lignes mélodiques, brisées au départ, s’orientent peu à peu vers l’aigu, comme aimantées vers le haut et la pièce se termine par une section dominée par des traits ascendants.

Rêve de Vol I,II,III (1992-2004)
Pour voix de soprano, clarinette et alto
Il s’agit d’un cycle de trois pièces, où l’on retrouve la figure du trait ascendant et l’écriture en hétérophonie.
Dans Rêve de vol I, pour clarinette et alto, les deux instruments entretiennent une relation qui les place tantôt sur un plan sonore identique, où les lignes des deux instruments se confondent et installent une ambiguïté perceptive, tantôt sur deux plans sonores, où l'un devient l'ombre de l'autre. La pièce est parcourue par cette figure du trait ascendant, ici "signal gestuel", qui articule la forme. Il envahira progressivement la musique pour devenir prépondérent à la fin de l'œuvre.
La forme de Rêve de vol II pour voix de soprano et clarinette est fondée sur la mise en abyme du paradigme phrase/ponctuation : un premier type de "phrases" est ponctué par des "virgules", les "virgules" devenant par allongement progressif les "phrases" qui seront ponctuées à leur tour par un nouveau type de "virgules", et ainsi de suite. Pour la partie vocale, j’ai utilisé une courte phrase extraite du film Der Himmel über Berlin de Wim Wenders : « Ich weiss jetzt was kein Engel weiss ».
Rêve de vol III, la dernière pièce du cycle, a été composée dix ans après les deux premières. On y entend deux types de musique qui s’alternent. 1°) des accords (presque) statiques fondés sur une recombinaison phonétique du texte de Rêve de vol II orchestrée par les deux instruments. Des figures en triples croches les animeront à la fin pour leur donner une légère ondulation. 2°) des situations musicales rappelant les deux premières pièces du cycle, comme si la mémoire se matérialisait et que des fragments musicaux  entendus il y a longtemps étaient restés en suspension dans l’air.
La pièce est dédiée à Thierry Blondeau

2 (2002)
Pour deux pianos préparés
L’idée de dualité (qui parcourt finalement toutes les pièces de ce disque) a été traitée ici d’une manière radicale.
Deux pianos préparés. Aigus étouffés pour ne produire que des sons percussions, graves bloqués pour faire ressortir les sons harmoniques. Le son de piano dans tout son éclat n’apparaît que de manière furtive dans un fortissimo au paroxysme de l’œuvre.
Deux matériaux musicaux qui dialoguent l’un avec l’autre dans un quadrillage régulier du temps. Des notes répétées laissant apparaître l’organisation rythmique supérieure, les appuis du discours, et une alternance de quelques gestes évoquant un chant d’oiseau qui aurait été filtré de façon à n’entendre que les composantes bruitées.
La pièce est dédiée à Véronique Verdier

En découverte (2003)
Pour deux violons et électronique et vidéo
Lors de mon séjour à Kyoto en 2001 j’ai été frappé par la relation qu’entretiennent au Japon l’art et la nature, et plus particulièrement la manière dont les architectures très construites des jardins sont conçues par rapport à leurs environnement naturels.

En découverte découle de cette expérience japonaise et d’une collaboration avec l’artiste Natacha Nisic qui a réalisé une vidéo sur cette pièce (figurant en bonus sur ce disque).  La pièce propose un parcours métaphorique de l’extérieur vers l’intérieur, de sons de la nature vers sons de l’instrument : l’écriture des violons qui prend comme modèle le chant du rossignol japonais (uguisu) au début se transforme peu à peu et utilise à la fin des gestes typiques de la littérature de violon. La morphologie d’un autre chant d’oiseau entendu au japon, qui est caractérisée par la déformation d’un motif par répétition et transposition vers le grave, sert de modèle à la seconde partie de la pièce. Cette idée apparaît clairement dans la partie électronique qui répète les phrases des violons en les transposant lentement vers le grave.

des oiseaux (2003)
Sur un texte de Christophe Marchand-Kiss
Pour deux voix de soprano et trois clarinettes
Commande de l’Etat
Pour cette pièce, j’avais demandé à Christophe Marchand-Kiss d’écrire deux poèmes en partant d’un guide ornithologique. La pièce parcourt un itinéraire qui consiste à aller de l'instrument à la nature. Sa trajectoire est donc exactement l’inverse de celle d’En découverte, elle pourrait en être le négatif. Si la musique tente d’imposer son rythme au texte au début, c’est finalement l’inverse qui se produit à la fin avec les cris d’oiseaux retranscrits (en italique dans le texte de Christophe Marchand-Kiss). Conjointement, les gestes sonores au départ constitués d'"archétypes" musicaux (gammes ascendantes, descendantes, notes répétées) revêtent peu à peu des morphologies empruntées aux chants d'oiseaux. Le matériau harmonique suit lui aussi une évolution parallèle. Il obéit d'abord aux contraintes gestuelles pour s'inspirer à la fin de modèles acoustiques de sons naturels. Ce parcours, allant de l’intérieur vers l’extérieur, est explicite lorsque la pièce est jouée en concert, puisque la situation de départ, celle du concert, dérive progressivement vers une situation (plus "écologique") où les chanteuses jouant des appeaux, dialoguent avec des chants d’oiseaux enregistrés.
La pièce est dédiée à Christophe Marchand-Kiss